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De l’art vidéo aux arts numériques
De l’art vidéo aux arts numériques
A l’occasion de la soirée culturelle du 29 septembre prochain au Planétarium , qui va mettre à l’honneur des œuvres immersives de vidéo-mapping, Alsace Cinémas vous propose de faire un rapide et sélectif tour d’horizon de l’art vidéo.
L’histoire de l’art vidéo est liée à l’histoire du cinéma. Très tôt, les artistes d’avant-garde ont pressenti le potentiel plastique du procédé cinématographique et s’en sont emparés. Parmi les premiers, les surréalistes, comme Salvador Dali et Luis Buñuel avec leur court métrage Un chien Andalou (1929), démontrent qu’ils ont parfaitement compris que le vocabulaire du cinéma (cadrage, surimpression*, fondus*, travelling*) pou- vait servir l’esthétique de leur mouvement. Mais ces premières appropria- tions, aussi fertiles qu’elles soient, restent marginales pour des raisons tech- niques et économiques. Il va falloir attendre les années 1960, pour que les artistes, pro tant des récents progrès technologiques et du développement de la télévision, inventent un nouveau langage artistique dont la matière première sera l’image vidéo.
L’art vidéo
L’art vidéo est une pratique artistique qui utilise comme outil et matériau l’image vidéo, qu’elle soit analogique ou numérique. Depuis sa naissance à l’orée des sixties, l’art vidéo s’est imposé comme l’un des langages artistiques les plus riches et protéiformes de la création contemporaine. Ce sont des œuvres d’expression personnelle, ou résultant d’une analyse réflexive sur les structures propres à la vidéo.
Lorsque Sony commercialise le portapak (première unité portable d’enregistrement vidéo, ancêtre de notre caméscope) en 1963 aux États-Unis, les artistes découvrent les moyens techniques d’enregistrer de l’image en mouvement de façon beaucoup moins contraignante que le cinéma ou le plateau de télévision. La bande magnétique a un faible coût, une durée d’enregistrement beaucoup plus longue que la pellicule et des besoins en lumière beaucoup moins importants, permettant des prises de vues dans des lieux très divers et sans préparation.
Cette souplesse d’utilisation apporte une proximité avec le sujet et transforme le rapport entre la caméra et ce qui est filmé. Dès lors, les artistes vont entretenir un nouveau rapport à l’image en mouvement, qui devient tout d’un coup un rapport à l’intime et à la spontanéité.
Contrairement au cinéma ou à la télévision, l’art vidéo se passe le plus souvent de canaux de diffusion complexes et contraignants, et à ce titre échappe à un formatage qui autorise une plus grande liberté dans la création. Lié au milieu de l’art contemporain, l’art vidéo se décline surtout en installation, avec des formats inédits, superposant les surfaces de projection de tailles variées, se différenciant singulièrement de l’écran de cinéma. L’artiste vidéaste expérimente, recherche, explore toutes les potentialités de l’image et interroge le spectateur de manière souvent radicale.
Fille de la télé
Dans le contexte expérimental des années soixante, tout a commencé avec un lot de téléviseurs « préparés », pour la distorsion d’images. (mars 1963, Nam June Paik, Exposition of Music – Electronic Television).
Réflexion davantage plasticienne que politique sur les possibilités de distorsion de l’image télévisée, l’approche de Nam June Paikest concomitante de celle, plus militante, de l’allemand Wolf Vostell, qui s’emploie au même moment à dénoncer l’emprise de la petite lucarne sur les esprits. Téléviseurs cernés de barbelés ou coulés dans une chape de béton : c’est peu dire que la virulence de sa critique est à la hauteur des moyens déployés… Ainsi érigé au rang d’objet sculptural, le poste de télévision s’expose au musée, l’art vidéo est né.
Bill Viola, figure de proue de la création vidéo
La manipulation de l’image vidéo offre des possibilités de recherches picturales nouvelles que les jeunes artistes vont très tôt développer. Étudiant en art entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, Bill Viola appartient à la seconde génération des artistes faisant usage de la vidéo, artistes qui vont affirmer leur pratique tandis que cette technologie a commencé à s’implanter. Avec The Reflecting Pool (1977), il explore les capacités de trucage de la bande magnétique.
L’image se divise en deux parties, une forêt dans la partie haute, une piscine dans la partie basse. La caméra restée fixe, crée un plan-séquence de sept minutes.
Plusieurs temps sont fondus, grâce aux effets vidéo, dans ce paysage, explique Bill Viola : « L’image est fragmentée en trois niveaux de temps distincts (temps réel, temps suspendu, laps de temps) et reconstruite de telle sorte qu’elle ressemble à l’image d’un espace unique […]. C’est vraiment comme si on sculptait du temps. » (Bill Viola. Entretien avec Bill Viola par Raymond Bellour, Cahiers du Cinéma n°379, janvier 1986.)
Après s’être intéressé aux qualités de la bande vidéo diffusée sur moniteur, Bill Viola, comme beaucoup d’autres artistes d’ailleurs, va passer à la forme de l’installation à partir des années 1980. Dorénavant projetées, les images deviennent monumentales. L’œuvre n’est pas seulement constituée des images et des sons, mais intègre l’organisation entière de l’espace. Ainsi, le noir autour des projections fait aussi partie intégrante de l’œuvre et participe à la perception qu’en a le spectateur.
Bill Viola, Five Angels for the Millennium, 2001 Installation audiovisuelle : 5 Vidéoprojections, 5 betacam numériques (9’40,7’45, 13’10, 9’20, 9’43), 5 vidéoprojecteurs, 5 equalizeurs, 5 amplificateurs, 10 haut-parleurs, matériel électrique. 5 salles aux dimensions variables. Five Angels for the Millennium est une installation réalisée en 2001. Dans une grande salle plongée dans l’obscurité, cinq séquences vidéo sont projetées sur les murs. Ces séquences sont diffusées en simultané et en boucle. Leur contenu est différent, mais le thème est commun : chacune présente un corps passant dans une grande étendue d’eau, bleue sur quatre écrans et rouge sur le cinquième.
Au début, rien ne semble se passer dans les images, on contemple des espaces liquides. Puis, sans prévenir, un corps surgit, plongeant et traversant l’eau, tel un nageur. Cette surprise, déjà travaillée dans The Reflecting Pool, maintient l’attention du spectateur et le trouble. Les images, monumentales, sont l’objet d’effets plastiques (comme des ralentis) qui les rendent irréelles et oniriques.À l’immersion des corps filmés fait écho l’immersion du spectateur, qui « baigne » dans le son (très présent) et les images. Bill Viola nomme ces personnages des anges (1. Departing Angel, 2. Angel of Birth, 3. Angel of Fire, 4. Ascending Angel, 5. Angel of Creation) et les thèmes du passage, de la transition prennent forme dans cette installation. La simultanéité et la surprise impliquent le corps du spectateur qui cherche dans l’espace d’où viennent le son et la lumière
Quelques artistes locaux : Robert Cahen, Ramona Poenaru, Clément Cogitore.
L’interactivité avec les spectateurs, les vrais ou faux « vidéhologrammes », les « vidéo jockey », les œuvres collaboratives par internet, le vidéo mapping ou encore les visioconcerts représentent les formes d’art vidéo émergentes.
Les arts visuels numériques
De plus en plus, les pratiques artistiques sont indissociables des progrès technologiques et informatiques qui révolutionnent le monde dans lequel elles se forgent. Mieux encore, la technique – jusqu’alors accessoire dans le façonnement d’une œuvre – sort de son simple rôle d’outil, de procédure, pour devenir le matériau, mais aussi l’esthétique, le symbolique, quand ce n’est pas le caractère même de l’œuvre.
Les technologies numériques et les médias interactifs contribuent en effet à remettre en question les notions traditionnelles d’œuvre d’art, de public et d’artiste. L’artiste n’est plus l’unique créateur d’une œuvre, mais souvent le médiateur ou l’animateur des interactions entre le public et celle-ci. Le processus de création lui-même est souvent le fruit de collaborations complexes entre un artiste et une équipe de programmeurs, d’ingénieurs, de scientifiques et de designers graphiques. Un certain nombre d’artistes numériques ont eux-mêmes suivi une formation en ingénierie.
Dans un premier temps, c’est la création visuelle – image de synthèse, 3D, « nouvelles » images – qui fut synonyme de ces nouvelles pratiques artistiques. Le passage de l’analogique au numérique pourrait donc être le seul critère pour cerner la spécificité d’une œuvre d’art numérique. Reste que c’est bien l’art vidéo qui fait figure d’ancêtre des arts numériques, par les moyens mis en œuvre, par l’intention aussi dans ce détournement des fonctions et de la finalité d’un objet technique pour en faire une œuvre d’art. Au-delà, les arts numériques sous toutes leurs formes (projection, virtualisation, installation et/ou dispositif) posent la question du rapport homme-machine-environnement sur le mode artiste-œuvre-public.
Quelques artistes locaux : AV Exciters, Sébastien Van der Kwast., Rock Brenner
Arts numériques et arts de la scène
Le Mapping
Dorénavant projetées, en deux ou trois dimensions, les images deviennent monumentales et intègrent l’espace environnant. En témoigne la pratique du mapping, qui infiltre depuis quelques années l’espace public, de la Nuit Blanche à Paris à la Fête des Lumières à Lyon, pour transformer les façades de nos villes en gigantesques cimaises à ciel ouvert. Ou encore le développement des installations interactives d’art numérique et d’art immersif, au cœur desquelles le spectateur est invité à participer en temps réel – à la Gaité lyrique ou depuis son salon, un casque de réalité virtuelle vissé sur la tête.
Le VJing
Entre vidéo, cinéma et musique, performance, concert et projection, le VJing est l’une des pratiques audiovisuelles les plus hybrides. Le terme Video Jockey à été inventé par Merrill Aldighieri (première fiche de paye comme Video Jockey en mai 1980), puis connût une renaissance début 90 grâce aux premiers synthétiseurs vidéos animés.
Il s’agit d’une manipulation d’images en direct en fonction d’une composition musicale. Accompagnant l’essor des performances multimédias, il s’est imposé vers la fin des années 80 et développe une approche du procédé cinématographique qui privilégie l’éphémère, le fragment et la réalisation en direct. En tant que démarche artistique, cette pratique rejoint certaines tentatives antérieures développées au sein du cinéma expérimental, mais s’inspire également des dispositifs et autres installations imaginés par l’art vidéo, à la différence essentielle que la performance VJing est activée en live à partir de la présence de l’artiste. D’un côté nous retrouvons donc le médium cinématographique et de l’autre la présence d’un artiste qui propose dans un contexte donné, une expression en direct, une approche in situ.
Le VJing s’inscrit dans la lignée des pratiques transformatives, telles que le mashup, qui consiste à faire une œuvre audiovisuelle originale à partir d’images et de sons préexistants.
Work in progress : Le Mashup
Digne héritier des œuvres collaboratives par internet, le Mashup est né par une commande de la Warner pour son anniversaire, et la réalisation du « Grand détournement » de Michel Hazanavicius. Détournement et ironie seront donc les fers de lance de ce genre caustique, qui oscille entre hommage au cinéma et propos subversifs.
Le réalisateur Artavazd Pelechian est l’un des pionniers du mash-up – Les habitants. 1970.
L’art immersif
Le propre d’une œuvre immersive, c’est de pouvoir faire vivre une expérience artistique, esthétique de l’intérieur, en réservant au spectateur la place centrale et non pas une confrontation classique avec une œuvre, en face-à-face, comme pour l’accrochage d’un tableau ou la visualisation sur écran.
Cette sensation et ce pouvoir d’immersion peuvent aussi être renforcés par des structures dédiées, destinées à accueillir des œuvres de ce type : chambre noire (black box) et dôme à La Société des arts technologiques (SAT) de Montréal, centre transdisciplinaire consacré au développement et à la conservation de la culture numérique ; dôme encore, mais en installation provisoire pour accueillir Global Fire de l’artiste chinois Du Zhenjun ou le projet réunissant le musicien Ryuichi Sakamoto et l’artiste Shira Takatani (LIFE – fluid, invisible, inaudible…), lors de l’exposition Matière-Lumière proposée par Richard Castelli en 2011 à Béthune.
Art et science
La synergie avec des scientifiques, indispensable pour mener à bien de nombreux projets, offre également aux artistes d’autres possibilités de production et lieux d’expositions, un support technique et financier que ne peuvent offrir les festivals, par exemple. Les œuvres hybrides qui résultent de leur interpénétration rendent irréversible le morcellement des anciennes frontières opposant art et science.
Ainsi en est-il, par exemple, de l’Atelier Arts Sciences porté par le Commissariat français à l’énergie atomique (CEA) et la Scène nationale de Meylan au sein du site du Polygone scientifique de Grenoble. Cette structure a notamment accueilli en résidence le collectif Ez3kiel, qui a pu y réaliser certaines de ses Mécaniques poétiques. Travaillant sur des détecteurs de présence, sur le rapport son-lumière ou sur des dispositifs synesthésiques, ces projets artistiques nourrissent en retour le travail des scientifiques en leur ouvrant de nouvelles perspectives basées sur des postulats non académiques et non utilitaristes.
De la même façon, le collectif AV Exciters sera accueilli par le Planétarium de Strasbourg pour la clôture d’un atelier en journée, et une programmation de vidéo immersive avec des artistes internationaux pour la soirée.